RISQUE CEREBRAL EN CHIRURGIE EXTRA-CEREBRALE
Protection par l’anesthésie

Renée KRIVOSIC-HORBER

CHU LILLE


Le cerveau nécessite comme tout autre organe, un équilibre entre son niveau de fonctionnement (métabolisme) et l’apport en nutriments et comburants (glucose, oxygène). La rupture de cet équilibre par insuffisance d’apport entraîne une souffrance avec des signes fonctionnels non apparents en anesthésie générale et peut être des séquelles par ischémie directe ou induction de thrombose ou encore la création d’un cercle vicieux, oedème cérébral et engagement.

 

Trois questions seront discutées dans l’exposé :

1 - Les anesthésiques généraux confèrent-ils une protection contre une éventuelle agression cérébrale de type préventif ou curatif. Si la réponse est oui, faut-il en tenir compte dans le choix de la technique d’anesthésie générale ou loco-régionale. Faut-il si l’on choisit l’anesthésie générale préférer des agents anesthésiques considérés comme plus protecteurs que d’autres ?

2 - Hypothermie modérée et protection cérébrale. Faut-il réchauffer les patients ou au contraire les refroidir ? Quelles sont les connaissances actuelles sur le sujet ?

3 - Y-a-t-il une place pour les agents médicamenteux neuroprotecteurs ?

 

Références dont la lecture est utile

1 - Effet protecteur des agents anesthésiques

A concept for assessing interactions of general anesthetics

I. Kissin. Anesth Analg 1997 ; 85 : 204-10

L’auteur analyse les connaissances sur le mécanisme d’obtention de l’anesthésie qu’il définit avec Prys-Roberts comme un état d’inconscience pharmacologique, le patient ne pouvant percevoir ni se rappeler les simulis douloureux. Il rappelle que le mécanisme non spécifique commun à tous les agents anesthésiques qui agiraient en provoquant un désordre des couches lipidiques de la membrane des neurones est considéré comme insuffisant et qu’il apparaît plus vraisemblable que les médicaments ont des mécanismes d’action spécifique sur des protéines qui sont soit des récepteurs des neurotransmetteurs comme le complexe récepteur gaba ou des canaux ioniques se situant au niveau des synapses et modifiant la transmission synaptique et l’excitabilité post-synaptique. L’extrême diversité des mécanismes cellulaires et physiologiques intervenant dans l’état de conscience pourrait expliquer que les anesthésiques agissant sur des cibles différentes obtiennent un résultat commun.

 

 

Cerebral protection : Are all barbiturates created equal ?

JC Drummond. Anesthesiology 1996 ; 85 : 1504-5

Analysant un article de Warner : Anesthesiology 1996 : 84 : 1475-84 montrant sur un modèle expérimental d’ischémie focale qu’un effet cérébral protecteur maximal peut être obtenu avec 1/3 de la dose de pentobarbital nécessaire pour entraîner des pauses à l’électroencéphalogramme, JC Drummond conclut qu’il n’est plus raisonnable d’affirmer que tous les barbituriques sont égaux dans leur potentiel de protection cérébrale et qu’il n’est pas non plus possible d’être sûr qu’ils sont tous supérieurs aux agents anesthésiques volatils.

 

 

Perioperative myoclonia or seizures

Z. Durrani. Anesth Analg 1987 ; 66 : 581-586

L’effet protecteur des anesthésiques généraux étant lié à leur effet de baisse de métabolisme, il est raisonnable d’affirmer que la production de convulsion constitue à tout le moins un effet anti-protecteur. Cette lettre a le mérite de préciser la différence entre les myoclonies : mouvements involontaires, des convulsions correspondant à un tracé électrique particulier. Plusieurs exemples de production de myoclonies ou de convulsions par différents agents anesthésiques intraveineux et par inhalation : propofol, étomidate, kétamine, éther, enflurane, isoflurane ont été publiées sans déboucher sur une contre-indication chez le sujet épileptique.

Doit-on compte-tenu de l’amélioration des connaissances sur l’effet des anesthésiques sur le cerveau introduire dans l’arsenal du monitorage de l’anesthésie, l’électroencéphalogramme non pas dans sa forme traditionnelle trop contraignante à surveiller, mais dans sa forme plus moderne d’analyse spectrale ? Ces nouveaux appareils vont-ils nous informer plus précocement sur la souffrance cérébrale ? Le débat reste ouvert, mais certains affirment que les modifications sont trop dépendantes de l’agent anesthésique pour être utilisés comme signe de souffrance cérébrale.

 

 

Serum neuron-specific enolase as early predictor of outcome after cardiac arrest

W. Fogel, D. Krieger et al. Crit Care Med 1997 ; 25 : 1133-1138

Chez les patients réanimés pour arrêt cardiaque, une concentration sérique d’énolase neuro-spécifique supérieur à 33 ng/ml prédit un coma persistant avec une spécificité élevée. L’énolase neuro-spécifique est un gamma gamma isomère de l’énolase, enzyme cytoplasmique de la glycolyse, localisée essentiellement dans les neurones et les cellules ectodermiques. Une augmentation de la concentration sérique de cette enzyme a été rapportée dans les cancers pulmonaires à petites cellules, les médulloblastomes ainsi que diverses maladies neurologiques.

Ce marqueur pourrait être utile en per ou post-opératoire devant un événement évocateur d’une souffrance neurologique.

 

 

Cerebral dysfunction after anaesthesia

JT Moller. Acta Anaesthesiologica Scandinavica 1997 : 41 : suppl. 110, p13-16

Les études épidémiologiques comparant les dysfonctions cognitives après anesthésie générale ou anesthésie loco-régionale ne sont pas significatives passées les premiers jours post-opératoires.

 

 

2 - Hypothermie modérée

Hypothermie modérée et protection cérébrale

R. Krivosic-Horber. Ann Fr Anesth Réanim 1995 : 14 : 122-128

Cet article rapporte que l’ensemble des travaux expérimentaux publiés montre un effet protecteur de l’hypothermie modérée entre 35 et 30°C, qu’il s’agisse d’une hypothermie pré ou post-ischémique. Le mécanisme semble être plus qu’une simple baisse du métabolisme, la modification d’éléments intra-cellulaires liés à l’ischémie. Il pourrait s’agir d’un blocage de la libération des acides aminés excitateurs en particulier le glutamate ou de l’accumulation de produits de la peroxydation lipidique et de radicaux libres. L’hypothermie modérée pourrait avoir un effet protecteur supérieur à celui des agents anesthésiques.

La suppression des réactions thermorégulatrices de l’organisme est indispensable pour obtenir une hypothermie thérapeutique. Si plusieurs articles décrivent l’induction d’hypothermie en neurochirurgie, il n’y a pas d’étude comparative qui ait prouvé un effet bénéfique.

 

Treatment of traumatic brain injury with moderate hypothermia

D. Marion, L. Penrod et al. The New Engl. J of Med 1997 ; 336 : 540-6

Cette étude montre qu’un traitement par hypothermie modérée pendant 24 heures chez des patients présentant un traumatisme crânien grave avec un score de coma entre 5 et 7 à l’admission a accéléré la récupération neurologique et pourrait avoir amélioré la survie.

 

Mild hypothermia therapy after cardiopulmonary resuscitation may improve cerebral resuscitation

H.Iwama, K Watanabe and al. Can J Anaesth 1997 ; 44 : 677-680

Quatre patients ont complétement récupéré après avoir présenté un arrêt circulatoire et bénéficiés à l’arrivée dans l’unité de réanimation, d’une hypothermie modérée.

 

Current Concepts : Mild perioperative hypothermia

DI Sessler. N. Engl. J. Med 1997 ; 336 : 1730-1737

Cette mise au point actualisée du meilleur spécialiste mondial du sujet nous rappelle que les effets conjugués de modifications des réponses thermorégulatrices par l’anesthésie et de l’exposition au froid de la salle d’opération rendent la plupart des patients opérés hypothermiques. Cette hypothermie même modérée peut avoir des inconvénients à type d’ischémie myocardique, de coagulopathie, d’infection de la plaie chirurgicale. Il ne rejette toutefois pas l’hypothermie modérée lorsqu’elle est indiquée pour protéger un organe contre l’ischémie, le cerveau en particulier.

 

3 - Neuroprotecteurs non anesthésiques

Compte rendu de la réunion de la Société Américaine d’Anesthésie et Réanimation en Neurochirurgie, New Orleans, octobre 1996. Anesthesiology 1997 ; 87 : 189-190.

L’utilisation des neuroprotecteurs en protection cérébrale peropératoire paraît prématurée compte tenu que d’une part, une longue liste de produits a donné des résultats prometteurs sur des modèles animaux alors que l’absence de protection est apparue en utilisation clinique et que d’autre part, les résultats des essais de neuroprotecteurs : tirilazad et antagonistes des récepteurs NMDA, chez des patients présentant une souffrance cérébrale traumatique ou liée à une hémorragie méningée sont contradictoires.

L’oxyde nitrique NO n’intervient pas dans la réponse cérébro-vasculaire à l’hypoxie et à l’hypercapnie. Toutefois, le NO pourrait avoir un rôle dans l’aggravation de la souffrance neurologique après ischémie cérébrale focale, provoquée par l’étomidate sur un modèle animal.